Bleues. Entretien grand format avec Alain Portes
Alain Portes, dans votre liste des 20 Bleues, actuellement réunies à Roissy, on remarque que tous les clubs de LFH sont représentés ?
Oui (sourires), mais ceci est un pur hasard. Aujourd’hui, il est certain que toutes les équipes travaillent bien, avec un niveau qui est de plus en plus en homogène. En témoigne le classement du championnat à la trêve. Il y a de bonnes joueuses dans tous les clubs.
L’Euro 2014 débute le 7 décembre prochain, quel est votre objectif ?
Avant de fixer quoi que ce soit, je veux voir dans quel état je récupère mes joueuses. Quand on aborde une compétition, il faut déjà voir avec qui on y va, et dans quel état de forme. Allison Pineau n’a pas joué depuis le mois d’août, Amandine Leynaud depuis 2 mois… Malgré tout, nous essaierons de réaliser le meilleur parcours possible, et essayer, pour commencer de passer le premier tour.
Quel est le positif à retenir de la 1ère étape de la Golden League, début octobre ?
Je dirais les résultats, car rentrer avec un bilan équilibré, au vu des adversaires, ce n’est pas si mal (Danemark 19-22 France, France 15-23 Norvège, France 26-26 Brésil, ndlr). Notre défense s’est montrée plutôt performante, régulière. Je retiens également cette capacité qu’ont eu les joueuses à rebondir après le match de la Norvège. Nous avons bien réagi, aussi en proposant autre chose, comme les montées de balle. J’estime que l’on a progressé sur ce point.
Et puis, en l’absence de Cléopâtre Darleux, nos jeunes gardiennes Laura Glauser et Armelle Attingré, ont répondu présentes.
Marie Prouvensier, cet été, lors du Mondial Juniors 2014, convoquée par Alain Portes.
En parlant des jeunes, un mot sur Marie Prouvensier (20 ans) et Marie François (21 ans) ?
Marie Prouvensier, je l’ai suivie lors du Mondial Juniors cet été. Elle a fait un bon tournoi, suivi d’un bon début de saison avec Dijon. Suite aux blessures d’Audrey Deroin et de Blandine Dancette, à l’aile droite, nous avons fait appel à Marie Prouvensier.
Marie François, également auteure d’un bon début de saison avec Dijon, est une demi-centre mais qui peut jouer aussi au poste d’arrière gauche. Il se peut que l’on joue avec des joueuses comme Gnonsiane Niombla, Grâce Zaadi à ce poste.
Vous avez entrainé des filles (HBC Nîmes 1995-2004), puis des garçons (USAM Nîmes 2006-2009, sélection de Tunisie 2009-2013) puis à nouveau des filles aujourd’hui. En quoi l’approche est-elle différente ?
Pour moi, je pense que c’une richesse d’avoir fait les deux. C’est une approche différente, cela oblige à se remettre en question, à rester en éveil. Chez les filles, le jeu est peut-être moins physique, mais il est plus riche tactiquement, chose que j’apprécie. Avec les filles, il faut avoir leur adhésion pour bien fonctionner, il faut gagner leur confiance pour, c’est quelque chose de beaucoup plus accentué chez les féminines. Elles peuvent plus facilement se sentir délaissées que chez les garçons, cela nécessite de s’intéresser davantage à l’individu. Il faut être attentif à cela.
Quel regard portez-vous sur la 1ère partie du championnat de LFH ?
Le niveau des matches est bon, avec du suspens. J’ai vu beaucoup de matches équilibrés, ce qui en fait un championnat passionnant. Le niveau s’équilibre chaque année un peu plus, c’est plus homogène. Il n’y a plus d’équipe complètement à la traîne. Quand on rentre dans une salle, on ne sait pas trop comment cela va se passer. Pour le spectacle, c’est très bien.
Le trophée de Champion de France, plus que jamais disputé.
En 1995, vous avez débuté votre carrière d’entraîneur en D1 féminine, au HBC Nîmes (1995-2004). Qu’est-ce qui a le plus changé en 10 ans ?
Le niveau, du fait notamment qu’il y a plus d’étrangères aujourd’hui, quasiment toutes internationales dans leurs sélections. Et puis avant tout, les joueuses s’entraînent plus, plus et mieux. Elles sont professionnelles, les entraîneurs aussi. Il y a plus de professionnalisme, de moyens. C’est un autre monde par rapport à il y a 10 ans.
Qui parmi les internationales étrangères de LFH, retient votre attention cette saison ?
J’apprécie particulièrement les joueuses qui font bien jouer leurs partenaires. Des joueuses qui sont performantes mais qui en plus, font bien jouer leurs coéquipières. Mon top 3 en ce sens, ce serait Stine Oftedal (Issy Paris), Marija Jovanovic (Issy Paris), Mouna Chebbah (Nîmes). Des joueuses brillantes, et altruistes. Elles bonifient leur équipe.
Ana Gros (Metz) aussi, réalise de très belles performances. Fleury Loiret présente de fortes individualités parmi les internationales espagnoles.
Suivez-vous plus particulièrement les joueuses de LFH qui seront vos adversaires à l’Euro ?
Oui bien sûr (sourires). J’essaie de repérer leurs tendances de jeu, je regarde beaucoup de matches. Et oui, j’ai porté un regard particulier sur Marija Jovanovic (Monténégro), Jelena Popovic (Serbie), Martina Skolkova (Slovaquie) même si parfois dans leur équipe, elles ont un autre visage, un autre rôle qu’en sélection.
Marija Jovanovic (Issy Paris), actuelle meilleure buteuse de LFH (79 buts).
Marija Jovanovic, que vous avez déjà rencontrée au 1er tour du Mondial 2013 (France 17-16 Monténégro) ?
Oui, et je m’en souviens bien… Elle nous avait marqué un but magnifique, de très loin sous la barre. Le Monténégro était repassé à +1, son tir avait failli nous démoraliser (sourires). J’avais pris un temps mort, nous avons inscrit 2 buts consécutifs et tout s’est bien terminé. Malheureusement il n’y aura pas qu’elle à surveiller dans l’équipe du Monténégro…
Au delà des internationales françaises, de plus en plus d’internationales évoluent en LFH, qu’en pensez-vous ?
Selon moi il y a un double impact, à la fois positif et négatif. Positif car c’est bien pour le développement du championnat, comme pour les internationales françaises qui disputent des matches de haut niveau tous les week-ends.
Mais le point négatif, en tant que sélectionneur, c’est qu’il y a des Françaises sur le banc de touche dans leur club. Par exemple au poste d’arrière gauche et en équipe de France, nous en souffrons. C’est le revers de la médaille, il faudrait trouver le juste milieu.
Quelles sont les personnes qui vous ont influencé dans votre parcours et phisolosphie d’entraîneur ?
Déjà il y a mon père, qui a été mon 1er entraineur, il était aussi professeur d’éducation physique à la fac. Il m’a appris à jouer, et beaucoup aidé dans mon approche du handball. Il m’a construit à ce niveau. Après, on prend de tous les coaches que l’on a côtoyés, mais alors si je dois en citer quelques uns, bien sûr il y a Daniel Costantini (photo), Jean-Paul Martinet et Alain Jourdan à Nîmes.
Après avec Daniel (Costantini), vu ce que l’on a vécu (médaille de bronze aux JO de Barcelone avec les Barjots, ndlr), c’est peut-être celui qui m’a le plus marqué, et qui m’inspire le plus aujourd’hui.
Daniel Costantini, au côté d’Arnaud Gandais (Issy Paris), Patrick Cazal (Dunkerque) lors de la Nuit du Hand 2014.
Il y a aussi des rencontres avec des joueurs, des joueuses. Un entraîneur n’est rien sans ses joueurs/joueuses. Heykel Megannem, Issam Tej, en sélection de Tunisie. J’ai beaucoup appris de ces joueurs, ce sont des rencontres importantes. Il y a des jeunes espoirs tunisiens qui vont briller dans les années à venir. Et puis je n’oublie pas les joueuses avec qui je gagne la Coupe d’Europe en 2001 (1ère Coupe d’Europe remportée par un club de handball féminin français, ndlr).
Après cette victoire historique, un journaliste vous a lancé ceci : “Vous allez vouloir entraîner l’équipe de France maintenant !“ ?
(Sourires) Oui je me rappelle… C’était un journaliste du Monde, qui était venu pour la finale et quand il m’a dit ça, j’ai éclaté de rire. Je n’y pensais pas. Je fonctionne par projets, séduisants ou non. Je n’ai pas de plan de carrière, et pas de problème d’égo. Peut-être parce que ma carrière de joueur m’a déjà fait vivre de belles choses. Je n’ai pas de problème existentiel.
Vous avez déclaré : “Quand je suis rentré de Tunisie, je n’étais plus le même homme“. Dans quel sens ?
J’en suis revenu plus fort mentalement. Quand je suis parti, je sortais du cocon nîmois, je n’avais pas de repères, c’était une mise en danger que je ne regrette pas du tout. C’était une magnifique expérience à vivre. Il y avait cette pression, cette attente de la part de tout un peuple, mais quelle belle aventure. Aussi dans ma façon de voir les choses, je suis plus tolérant aujourd’hui, j’ai appris à m’adapter.
Les Barjots avec la médaille de bronze (1992), Alain Portes en bas à droite sur la photo.
Comme joueur, vous avez 216 sélections en équipe de France, décroché la 1ère médaille olympique avec les Barjots (1992). Ressentez-vous la même chose quand vous entendez la Marseillaise, comme sélectionneur ?Les Barjot
Toujours… L’émotion est toujours là, très forte. Ce qui est “drôle“, c’est qu’avec la Tunisie (2009-2013), lors de toutes les compétitions, nous étions dans le groupe de la France. Donc j’entendais la Marseillaise, mais de l’autre côté, cela faisait bizarre (sourires). Aujourd’hui, c’est toujours la même émotion mais aussi de vraies responsabilités.
Décrochez une nouvelle médaille avec l’équipe de France, y pensez-vous ?
Une médaille avec son pays, c’est la plus belle des récompenses. Bien sûr que c’est quelque chose auquel je pense, j’aimerais tellement revivre cela, mais surtout, j’aimerais que les joueuses connaissent ça.
Pensez-vous déjà aux JO 2016 ?
Je suis quelqu’un d’assez cartésien. Chaque chose en son temps. Il faut déjà se qualifier, l’opposition sera dense donc il ne faut vraiment pas brûler les étapes, ce qui serait le meilleur moyen de se casser la figure.
Le staff de l’équipe de France.
Echangez-vous avec d’autres sélectionneurs ?
Cela m’arrive, mais pas assez. Avec un ami que l’on a en commun, j’ai récemment mangé avec Patrice Lagisquet (XV de France). Nous avons beaucoup discuté, c’est toujours une vraie richesse. On ne se donne pas toujours le temps mais c’est quelque chose que j’aimerais faire davantage. J’aime tous les sports, et je suis très curieux, d’apprendre, échanger.
Le terrain, que côtoie chaque jour un entraîneur de club, vous manque-t-il parfois ?
Oui parfois cela me manque, mais je fais autre chose, il y a d’autres aspects dans le poste de sélectionneur. Mais surtout ce qui me manque, c’est de manager plus de matches. En club, c’est environ 80 dans l’année, 20 en sélection. Dans les deux cas, cela reste un métier très prenant, qui vous habite tout le temps.
Parfois, je me dis que ce serait bien de faire le vide, mais cela est très difficile (sourires). J’ai bien du mal à décrocher… Quand je fais un footing par exemple, je pense au prochain entraînement, au prochain rassemblement. C’est un métier qui peut vous manger, heureusement que c’est une passion.
Entre les rassemblements, je me déplace pas mal, je vais voir beaucoup de matches. Le week-end du 15-16/11 j’étais à Skopje (Macédoine), voir les filles et aussi j’ai vu un match des garçons, c’est toujours intéressant. Je suis régulièrement sur les terrains de LFH. On voit les joueuses, elles nous voient, cela fait partie du travail.
Quels sont vos 3 principes forts en terme de management ?
L’intérêt du collectif passe avant tout.
J’essaie d’être juste. Je veux que les joueuses comprennent au mieux mes choix et mon fonctionnement.
Et puis être être compétent, ce qui demande du travail, de l’humilité.
“Prendre du plaisir », entrer sur le terrain dans une configuration positive.
“Le jour de match, c’est un jour de fête“, aimez-vous dire à vos joueuses ?
Oui, c’est ce que je leur dis. Bien sûr nous avons bien conscience des enjeux, mais cela, nous l’avons intégré durant la préparation, et le jour J, il faut que la pression soit positive, pas qu’elle nous paralyse. Il faut que l’on veuille prendre du plaisir.
J’avais envie de transmettre ceci à mon arrivée car je sentais les joueuses stressées, ce stress négatif nous fait faire les mauvais choix et il faut le chasser.
Avez-vous d’autres passions ?
Je suis un boulimique de sports, de tous les sports. Quand je regarde du rugby, je me régale, l’athlétisme, etc. J’aime bien être en famille, un bon repas, j’aime recevoir des amis, partager, la convivialité, je suis quelqu’un de simple, j’aime les plaisirs simples.