Dans la famille Carmaux… Avec Yann et mailys !
Figures de plus en plus reconnues du paysage handballistique hexagonal, Yann et Mailys Carmaux font valoir un travail assidu au service du jeu à 7 depuis de longues années maintenant, portant la fonction d’arbitre comme un héritage familial, puisque leur père, Thierry, a aussi joué du sifflet pendant des années et continue de veiller aux destinées de la pratique dans diverses fonctions. Cela vaut bien une interview croisée pour notre rubrique Dans la famille de.
Yann, Mailys, qui êtes-vous ?
Yann : Je suis Yann, j’ai 29 ans, je suis marié et arbitre de handball. Je suis arbitre international depuis 2019 et salarié de la Ligue Grand Est où je suis conseiller technique fédéral arbitrage. Je m’occupe d’une mission principalement sur la formation des arbitres du Grand Est.
Mailys : Moi je m’appelle Mailys, j’ai 25 ans, j’habite à Strasbourg – qui est la plus belle ville de France (sourire) – et je suis psychologue du travail, ergonome, et aussi donc arbitre, niveau pré-élite depuis 3 ans. Et je fais aussi partie du Young Referee Program, un programme européen de formation sur plusieurs années à destination des jeunes arbitres.
Comment est née votre passion pour l’arbitrage ?
Mailys : L’arbitrage est venu vers mes 12/13 ans. J’ai commencé avec des écoles de hand et ensuite le parcours classique, qui se fait au fur et à mesure. La culture de l’arbitrage à la maison était clairement bien implantée avec mon père, mon frère et dans la famille au sens élargi ! Ça a donc été naturel de prendre le sifflet, sans y avoir été poussée. J’avais envie de le faire et je l’ai fait. La passion en soi, elle est venue après car ça n’est pas facile d’être jeune et de se retrouver au milieu du terrain, dans un environnement parfois dur, quand on n’est pas toujours sûr de soi-même et que l’on prend des décisions parfois bancales, et que tout autour les gens peuvent hurler. On ne peut pas dire que ça soit une passion extrême tout de suite. Mais ça l’est devenu. J’y ai pris goût parce que j’y ai trouvé ma place. Comme arbitre, je n’ai rien à gagner ou rien à perdre, à part contre moi-même. Ma volonté est de faire le meilleur match possible, d’être dans la meilleure concentration possible, dans le meilleur placement afin de prendre la meilleure décision, adéquate à la situation. Et en ça, je n’ai pas par ailleurs de « match à gagner ». C’est un rôle qui me convient bien. Faire partie du jeu, sans prendre parti. Et désormais je suis clairement passionnée d’arbitrage. Ce qui étonne beaucoup les gens. Quand je regarde un match, je regarde plus l’arbitrage que le jeu… (rires). Même si je reste passionnée de hand avant tout !
Yann : C’est venu en accompagnant mon père quand j’étais jeune. Je dirais que c’était entre 7 et 10 ans. Il arbitrait un peu partout, et les déplacements se faisaient encore en voiture, du coup je pouvais venir avec lui – et son frère puisqu’ils arbitraient ensemble, ainsi que mon cousin –. Je me souviens de certains longs trajets comme Strasbourg – Le Havre ou Strasbourg – Mios. Je découvrais les trajets, les arrêts sur les aires d’autoroute, les coulisses des matchs de D1. J’assistais aussi aux réunions techniques avec les capitaines ! C’était vraiment une autre époque… Ça m’a permis de voir les avantages d’être arbitre à haut-niveau, avant de subir les inconvénients d’être arbitre tout court (rires), comme de se faire engueuler à 13 ans par des gens qui pourraient être mes parents… J’ai pu avoir ça comme objectif et ça m’a permis d’accepter plus facilement les moments difficiles.
Vous avez joué au hand évidemment… C’était un prérequis ?
Mailys : C’est le sport national dans notre coin ! Moi j’ai commencé vraiment simplement, vers 6 ans. Toutes mes copines en faisait, les enfants de ma nounou aussi. Au tout début je ne voulais pas trop jouer, ça a du mettre un an avant que je ne craque et que je retrouve mes camarades là-bas.
Yann : J’ai du commencer à 5 ans, quelque chose comme ça… On jouait dans le village voisin, à Marmoutier, qui était à 2 km de chez nous. C’est le club historique où a évolué toute ma famille. C’était une évidence d’y aller. Mais il n’y avait pas d’obligation d’être dans le hand chez nous. C’est juste que tous les copains jouaient au hand donc on s’y retrouvait !
C’est vraiment un chemin étonnant d’être sensibilisé si jeune à l’arbitrage de haut niveau…
Yann : Le fait que mon père ait été arbitre m’a aidé à me construire en tant qu’arbitre. Pour accéder au haut niveau, ce qui est important, et ce à quoi mes parents, mon père et ma mère ont vraiment contribué, c’est à m’aider à me construire en tant qu’homme. C’est ce qui a fait la différence. Ils m’ont appris à essayer d’être meilleur demain qu’aujourd’hui. C’est ce supplément qui donne envie de passer d’un bon arbitre à un grand arbitre. L’exemple type, c’est que, quand on revenait de l’école, jeunes, et que l’on avait une note, ça n’était pas sa valeur qui importait. Ils se fichaient que cela soit un 5 ou un 18. Mais ce qui comptait c’était de savoir ce que l’on avait appris et savoir si on savait comment on aurait pu faire mieux. L’important c’est le processus, pas la finalité. Si tu ne révises qu’un sujet sur 30 pour un examen et que tu tombes dessus, ça ne veut pas dire que tu as été bon car si ça avait un des 29 autres tu te serais pris une taule. Et c’est pareil pour l’arbitrage, tu peux avoir un match qui se passe bien et tout le monde est content, mais si ta prestation n’a pas été au niveau et si le score avait été plus serré, tu te serais pris une raclée. Il faut travailler sur les détails pour que ça se passe bien tout le temps.
Mailys : Mon père et mon frère m’ont clairement inspirée dans ma pratique. Je devais avoir 16 ans quand mon père a arrêté d’arbitrer donc je n’ai pas les mêmes souvenirs de trajets que Yann par exemple. Mais je ai parfois accompagné mon père quand il faisait des suivis et puis j’ai suivi pas mal ce que faisais mon frère. Quand il a commencé à faire des matchs internationaux, avec Yasmine, on découvrait cette passion et du coup on vivait ça à distance. De l’avoir vu sur des gros matchs, ça m’a inspirée.
C’est rare de voir l’arbitrage transmis de père en fille et fils…
Yann : La clef, c’est la bienveillance et l’altruisme. Mon père a ça. Beaucoup de parents auraient pu mal vivre d’avoir des enfants qui performent au point de le ressentir comme une petite mort. Avant on me présentait comme le « fils Carmaux » et désormais c’est de lui dont on dit qu’il est le père de Yann. Cela demande beaucoup d’humilité. Moi, au début, ça me mettait mal à l’aise car les gens ne se doutent pas à quel point il n’y a pas de Yann sans Carmaux. Mon objectif est de me faire un prénom, sans faire oublier son nom, car je suis là grâce à mes parents. Ma mère est tout aussi importante dans tout ça. Le fait que l’on réussisse, c’est parce qu’il y a dans notre famille une volonté de transmission sincère.
Mailys : Sur le fait d’être un Carmaux, une fois on m’a déjà dit : « Mais il y en a encore combien qui vont suivre ? ». Moi je suis très fière de ce que l’on réalise. Après, dans l’arbitrage, c’est comme dans la vie, il y a des gens qui vous aiment bien, d’autres non. Moi je suis la dernière, je compose avec ça. Après je trouve que c’est une réelle chance d’avoir mon père et mon frère à mes côtés si nécessaire pour cela. Tu peux toujours avoir un accompagnement personnalisé. Mon plus grand centre de formation initial, ça a été dans le salon de mes parents, ça a été une chance. Et ça a toujours été dans la bienveillance.
Quels sont les qualités de l’autre dans l’arbitrage ? Et les vôtres ?
Mailys : Ce qui m’inspire chez Yann, c’est sa sérénité. On ne remarque pas quand il est stressé car il est tellement concentré que ça ne se lit pas. On lui a fait une surprise il y a quelques temps pour le Mondial. On est venu le voir quelques heures avant son premier match et il n’était pas stressé : il était concentré. Je le trouve toujours « prêt » et il l’est parce qu’il travaille vraiment beaucoup. Il se remet beaucoup en question. Il regarde tous ces matchs. Et parfois les gens pourraient se dire : « Oh mais c’est bon, il est international, il gère… » Ça n’est pas du tout le cas. Il regarde tout, il séquence. Il n’y a jamais rien d’acquis avec lui. Moi je travaille aussi beaucoup là-dessus car je suis peut-être de nature plus stressée que lui. Sur ça, ça va d’ailleurs mieux grâce à ce travail effectué et à une préparation de match vraiment cadrée.
Ma meilleure qualité, je pense que ça serait ma capacité à être plus dans la communication, grâce au travail fait avec ma binôme. On crée des relations avec les joueurs.
Yann : J’ai beaucoup d’admiration pour elle, sans hésitation, car c’est toujours plus difficile de se faire une place quand l’espace est déjà occupé. Elle n’a jamais eu de problèmes à s’affirmer même avec les caractères forts qu’il peut y avoir dans la famille. Je ne sais pas si, à sa place, j’aurais pu faire pareil. Car quand on parle d’une situation et qu’à la table il y a un ancien arbitre de D1 qui fait des suivis au niveau élite et un arbitre international, le fait d’oser dire qu’elle n’est pas d’accord avec nos points de vue, et que cela pourrait être autre chose, ça montre une réelle affirmation. Ce sont ces qualités-là qui lui ont permis de se faire sa place depuis 10 ans. Et qui fait qu’elle ne « s’écrase » pas dans un environnement où il peut y avoir des joueurs plus vieux, plus imposants et parfois un contexte où il peut y avoir de l’hostilité. Elles ont fait leur premier match en deuxième division quand elles avaient respectivement 22 et 21 ans ! Maïlys est vraiment super mature dans sa façon d’arbitrer. Et très sereine. Ce sont ses deux grandes forces, parce que s’appeler Carmaux n’est pas un cadeau pour elle, avec mon père et moi qui sommes passés avant. On n’a pas toujours que des amis ! Elle a du prouver, jeune, avec sa collègue Yasmine Diar, qu’elles avaient les compétences.
De mon côté, ce qui me semble important et c’est ce que j’essaye de faire dans ma fonction d’arbitre, c’est ce ne pas m’évaluer sur la finalité de ma performance, mais sur le processus. J’essaye toujours d’être le plus juste possible, surtout, de ne jamais avantager tel ou tel club, car ça m’horripilait quand j’étais plus jeune. Après, je fais aussi des erreurs et j’en ferai encore mais je cherche vraiment cette justesse.
Vous n’avez jamais arbitré ensemble. Est-ce un regret ?
Yann : Arbitrer avec ma sœur, ça serait trop lunaire pour moi. Les connaisseurs verraient immédiatement qu’elle est meilleure que moi (rires) ! Je veux préserver l’illusion encore un peu… Pour le moment, on a l’impression que je tiens encore le truc, mais si on est côte à côte, ça ne durera pas. Blague à part, cela fait 10 ans que je fais mon possible pour que l’on ne nous compare pas, pour qu’elle puisse se créer une identité, à son rythme, en prenant du plaisir. Je suis persuadé qu’elle n’a rien à m’envier, qu’elle est très forte, mais nos CV sont trop différents pour que ça soit viable. On a chacun nos parcours avec nos partenaires !
Mailys : Ça serait quand même hyper drôle et sympa. Mais pas sûr que l’on réussisse un bon match. C’est un vrai travail de binôme spécifique au hand qui est d’être dans la fusion des décisions. Ça n’est pas 1+1 = 2. C’est une synergie. Comme il y a quelque chose qui se construit avec le binôme, avec Yann, bien que ce soit mon frère, je ne suis pas sûr qu’on aurait les mêmes analyses sur le match, au même moment. Sur un match amical pourquoi pas s’il n’y a pas d’impact !
L’arbitrage est un débat continu entre vous ?
Mailys : C’est clair qu’il a fallu faire sa place dans la famille mais ça n’a pas été compliqué. On est du même moule mais avec des expériences différentes. Mon père, cela fait 10 ans qu’il a arrêté mais il est formateur, suiveur, il a été délégué, président de CTA. Il a un certain regard, mon frère est arbitre international avec les exigences que cela implique. Moi je suis la seule femme, il y a un regard différent. Car ils ne savent pas ce que c’est que d’être une femme et arbitrer, c’est parfois compliqué. C’est une approche différente. Dans tous les cas, on se nourrit les uns des autres et cela participe à notre formation continue.
Yann : On parle plus de la vie de tous les jours et de son nouveau chien ou de mariage que d’arbitrage. Et puis c’est surtout mon père qui a formé Maïlys. Avec Julien, ça fait 15 ans qu’on arbitre 45 matchs par saison, qu’on les séquence tous, j’ai aussi un travail qui demande beaucoup de temps. Je regarde une demi-douzaine de match par semaine. Cela aurait été difficile de former ma sœur, par ailleurs. Surtout ce qui est important, c’est que je ne voulais absolument pas prendre l’initiative de regarder tous ces matchs pour qu’elle se sente tirer vers la performance. Si je prenais cette initiative de regarder ses matchs et de lui donner des conseils, il y aurait une pression implicite à être performante parce que je m’investis. Mais je suis toujours resté disponible si elle avait besoin de conseils, comme n’importe quel frère. Elle a fait sa voie avec sa collègue, à leur rythme. C’était la bonne chose à faire.
Vous n’avez donc pas arbitré ensemble. Néanmoins, on imagine que votre partenaire est comme un « demi-frère » ou une « demi-soeur » pour garder le fil de notre rubrique, est-ce le cas ? Comment on construit un duo de ce type ?
Mailys : Yasmine a une place très importante dans ma vie, évidemment. On passe beaucoup de temps ensemble. C’est une relation qui se construit sur le long terme. Ce qui est génial, c’est que l’on a progressé ensemble : on a débuté sur des niveaux de jeunes jusqu’au niveau national. Et ce qui est positif, c’est qu’à l’intérieur de notre binôme, on sait se critiquer de manière constructive. Et on le fait car on veut monter le niveau ! Mais sans prendre mal les remarques. Quitte à être ensemble, autant que ça se passe bien. Et puis elle est très drôle : elle fait les blagues et je rigole, on se complète bien.
Yann : Si on fait le calcul, dans quelques années, j’aurais passé plus de temps avec Julien qu’avec ma sœur (rires). Avec ma sœur, on sort néanmoins du même moule tandis qu’avec Julien, on s’est construit un moule commun, chacun avec son histoire, sa représentation de la vie, ses valeurs, ses sentiments. Notre objectif, ce qui nous motive, c’est la performance. À 15 ans, on ne s’est pas mis ensemble pour arbitrer, mais pour arbitrer à haut niveau. C’était très clair dans nos têtes. C’est ce qui nous a beaucoup servi. On ne savait pas si ça allait marcher. Mais on a eu un engagement sincère l’un envers l’autre pour cela. On n’a pas le même code génétique, mais on en a écrit un. Ce qui est drôle, c’est que Julien m’a arbitré quand j’étais plus jeune et que c’est mon père, en le regardant faire, qui lui a demandé s’il voulait arbitrer à bon niveau, si ça le motivait, car il lui avait trouvé des qualités. Et c’est comme ça que l’on s’est retrouvé ensemble.
Julien et Yasmine sont un peu devenus des Carmaux du coup…
Yann : Ils n’en portent pas les noms mais ils en a les attributs (rires) !
Mailys : D’ailleurs, on a un groupe de conversation sur lequel on échange dont le nom dit presque cela (rires).
De quelle manière l’arbitrage a influé sur votre vite ?
Yann : Moi, c’est mon quotidien. Beaucoup de choses tournent autour de ça et ma vie aurait pris une tournure vraiment différente si je n’avais pas été arbitre. Outre les impacts matériels que ça a pu avoir, ça a modelé ma façon de voir le monde et les personnes. J’ai appris à bien supporter la pression, faire face aux imprévus, anticiper les réactions des gens. Bouillir intérieurement, mais paraître calme car l’apparence c’est important. J’avais 20 ans pour mon premier arbitrage diffusé sur beINSport… Cela change la façon dont on voit les choses et dont les gens nous voient. Pour devenir international à 24 ans, j’ai du mettre beaucoup de choses de côté. Ça a façonné ma vie, mais ma vie ne se résume pas à l’arbitrage. J’ai trouvé un nouvel équilibre par ailleurs avec la maturité.
Mailys : Clairement, ça influe. Je suis psychologue du travail. Et ça a la particularité, dans le domaine de la santé au travail, faire des diagnostics sur l’état de l’organisation du travail d’une entreprise pour en expliquer et en mettre en lumière les dysfonctionnements qui ont un impact sur la santé psychologique et mentale mais aussi physique, puisque je fais de l’ergonomie. Sur la capacité d’analyse fine des matchs par exemple, sur les questionnements répétés, cela a un impact sur le travail. En général, je trouve mon équilibre au fait que mon métier ne soit pas lié à l’arbitrage, même si c’est ok que ça le soit. Mais ça me fait du bien d’avoir un pied dans complètement autre chose, même si ça n’est pas simple pour l’organisation. L’un nourrit l’autre. Ce qui est intéressant, c’est aussi la gestion des émotions, cela peut prendre source dans l’arbitrage. Et puis il y a toujours l’autre comme alter ego à aider à arriver à quelque chose.