Entretien grand format avec les sœurs Bonaventura
4 mai 2014, finale de la Ligue des Champions à Györ.
Julie, Charlotte, vous souvenez-vous du tout 1er match que vous avez arbitré ? Comment l’aviez- vous vécu ?
Julie : Je ne me rappelle plus des deux équipes ! Nous avions environ 15 ans je crois.
Charlotte : Je ne me rappelle pas non plus, mais nous n’étions pas très à l’aise. Nous ne voulions pas arbitrer, on nous a un peu forcé la main.
Et votre 1er match en 1ère division ? Comment cela s’était-il passé ?
Julie : Notre premier match en LNH, c’était Toulouse – Montpellier. A l’époque nous faisions de la D2 masculine, c’était une sorte de test pour décider de notre passage en LNH. Et tout s’est bien passé !
Charlotte : Et notre premier match en LFH c’était Toulon – Le Havre, et ça s’était bien passé malgré une disqualification directe.
Avez-vous toujours arbitré ensemble ?
Julie et Charlotte : Oui !
D’où vous vient cette passion pour le handball ? Avez-vous été joueuse ?
Charlotte : Nous avons découvert le handball lors d’un stage multisports organisé en été par la ville d’Aubagne. Ça nous a plus et nous avons décidé de nous inscrire en club à la rentrée suivante, nous avions 8 ans. Je jouais au poste d’ailière.
Julie : Et moi je jouais ailière et demi-centre.
Et cette passion pour l’arbitrage ? Comment est-elle née ?
Charlotte : Nous avons été un peu contraintes et forcées par nos coéquipières qui ne voulaient pas prendre le sifflet lorsque notre équipe devait fournir 2 arbitres. Nous étions désignées d’office. Et au fur et à mesure nous nous sommes prises au jeu.
Julie : Il faut avouer que, au tout début, c’était plus par contrainte, mais au fil des matches c’est devenu beaucoup plus plaisant, heureusement (sourires).
A quel moment avez-vous choisi de vous consacrer exclusivement à l’arbitrage ?
Julie : Nous avons joué jusqu’à nos 23 ans tout en arbitrant.
Charlotte : Mais quand nous n’avons plus pu combiner les deux, nous avons tout naturellement choisi de continuer à arbitrer.
Peut-on parler de vocation ?
Julie : Oui effectivement, je pense qu’on peut parler de vocation.
Charlotte : Notre passion du handball s’est prolongée en passion pour l’arbitrage.
On imagine que cela doit demander une organisation “millimétrée“ entre votre activité professionnelle et votre pratique de l’arbitrage ? Du coup, cela laisse-t-il du temps pour les loisirs/vacances ?
Julie : C’est vrai que, entre les matches, les compétitions internationales et les heures d’entraînement, il ne reste quasiment plus de temps libre !
Charlotte : iI faut savoir que nous ne sommes pas des arbitres pro. Un Euro, c’est 2 semaines de congés, un Mondial 3 semaines, et à cela il faut rajouter les matchs de coupe d’Europe et bien sûr les matchs de LFH et LNH… Ça fait beaucoup de congés à prendre !
Julie : II nous arrive parfois de devoir refuser des désignations pour raisons professionnelles.
Charlotte : L’été nous avons les week-ends de libres, c’est ça nos « vacances » !
Vous avez arbitré, en 2012, la finale féminine des JO de Londres. Ce jour-là vous devenez les 1ères femmes à arbitrer 1 finale olympique, quel souvenir en gardez-vous ? Et votre médaille ?
Charlotte : Nous gardons un très bon souvenir des JO, bien évidemment, c’était une expérience géniale.
Julie : C’était incroyable de vivre ça de l’intérieur, c’était très intense et riche en émotions. Mais nous n’avions pas conscience sur le moment de cette dimension « historique », nous avons vécu ça tout naturellement.
Charlotte : Quant à notre médaille… on n’en a pas ! Contrairement aux joueurs il n’y a aucune récompense pour les arbitres, même en cas de finale, il n’y a ni médaille, ni prime.
D’ailleurs, comment avez-vous appris votre “sélection“ pour arbitrer cette finale olympique ?
Julie : Tout au long de la compétition, les désignations étaient annoncées la veille des matches aux arbitres lors d’une réunion quotidienne.
Charlotte : Mais cette réunion là était beaucoup plus solennelle, il y avait le président de l’IHF, les responsables de l’IHF, de la commission d’arbitrage, tous les délégués et tous les arbitres.
Julie : Après le discours du président de l’IHF et de son vice-président, le responsable de l’arbitrage a pris à son tour la parole afin d’annoncer le nom des arbitres pour les finales.
Charlotte : Le moment de l’annonce est indescriptible, c’est un peu comme si le temps s’arrêtait, puis nous entendons notre nom et là c’est un tourbillon d’émotions.
Et l’été dernier, la finale de la Ligue des Champions, devant 10 000 personnes ? Est-ce aussi un moment fort ?
Charlotte : Bien sûr, c’était le premier Final Four féminin, tout était réuni pour que l’événement soit une réussite.
Julie : Ce n’est pas tous les jours que nous avons la chance d’arbitrer une finale de Ligue des Champions, c’était vraiment un super moment. L’ambiance dans la salle était fantastique, les supporters hongrois sont vraiment des passionnés. Dès l’échauffement nous savions que nous allions bien en profiter.
Quand on est arbitre, arrive-t-on quand même à profiter de l’ambiance ?
Charlotte : Pendant un match la concentration est maximale pour bien gérer ce qui se passe sur le terrain. Mais si tout se passe bien et qu’il y a une bonne ambiance, nous en profitons aussi.
Julie : Ça fait partie des plaisirs de l’arbitrage… un bon match, une bonne ambiance, et une bonne performance.
Ressent-on, comme les joueuses, joueurs, une pression d’avant-match ?
Julie : Il n’y a pas de pression particulière. Nous nous concentrons sur ce qui nous attend…
Charlotte : Et nous rentrons dans le match avec l’envie de bien faire et de passer un bon moment.
Savez-vous combien de matches vous avez arbitré, jusqu’à aujourd’hui ?
Julie : Aucune idée !
Charlotte : Beaucoup ! (sourires)
Quel est cotre plus beau souvenir jusqu’ici ?
Julie : Sans aucun doute, les JO !
Charlotte : Incontestablement les JO !
Et le “pire“ ?
Julie : Aucun.
Charlotte : Je n’en vois pas.
Complicité naturelle entre soeurs, jumelles.
Arbitrer avec sa sœur jumelle, est-ce un vrai plus ? Les oreillettes vous servent-elles au final ?
Julie : Il y a une complicité naturelle, nous nous comprenons, nous nous faisons confiance à 200%, et la communication est très facile, même sans se parler…
Charlotte : Mais on utilise quand même les oreillettes ! C’est indispensable pour échanger au maximum et optimiser le travail en binôme.
Debriefez-vous les matches ? De quelle manière ?
Julie : En principe c’est assez rapide, nous allons à l’essentiel.
Charlotte : Une fois le match fini nous savons faire une analyse de notre performance et nous n’avons pas besoin de parler longtemps.
Vous arrive-t-il de vous disputer, comme toutes les sœurs/frères ?
Julie : C’est très rare !
Charlotte : Et ça ne dure jamais longtemps !
Avez-vous d’autres frères et sœurs, sont-ils dans le handball ?
Julie : Nous avons une sœur aînée, mais elle ne fait pas de handball.
Charlotte : Elle ne fait aucun sport d’ailleurs !
Vous arbitrez en LFH depuis 10 ans, en quoi, principalement, le championnat a-t-il évolué ?
Julie : La LFH a fait de gros efforts en matière de structuration des clubs, de professionnalisation des acteurs, de communication…
Charlotte : Le championnat est devenu très attractif pour grand nombre de joueuses internationales (françaises et étrangères). C’est un gage de confiance et de qualité.
Julie et Charlotte Bonaventura arbitrent les hommes, en LNH.
Est-ce vraiment différent d’arbitrer des hommes (LNH) et des femmes (LFH) ?
Charlotte : Nous nous adaptons aux spécificités, aux différences dans le jeu, mais nous abordons les matches de la même façon.
Julie : Quel que soit le match nous devons avoir la même concentration et la même application. Nous ne changeons pas notre façon d’aborder les matches, ça serait une erreur.
Quels sont vos prochains “grands rendez-vous“, et vos prochains objectifs ?
Julie : Le prochain grand rendez-vous devrait être le championnat du monde féminin au mois de décembre au Danemark.
Charlotte : les objectifs sont toujours les mêmes, continuer à prendre du plaisir et à progresser.
Vous confond-on souvent ? Etes-vous de vraies jumelles ? Laquelle des 2 est née la 1ère ?
Julie : (Sourires) non, on nous confond presque jamais ! (sourires)
Charlotte : Nous sommes des fausses jumelles et je suis l’aînée pour 10 petites minutes.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui voudraient devenir arbitre ?
Julie : Pourquoi seulement aux jeunes femmes ?! Si nous devions donner un conseil, ce serait de continuer à jouer le plus longtemps possible tout en arbitrant, de prendre du plaisir sur le terrain et de ne pas renoncer face aux difficultés.
Charlotte : Il faut effectivement que cela soit un plaisir. Il ne faut pas avoir peur de faire des erreurs, ça fait partie de l’apprentissage. Il faut rester motivé et savoir écouter les conseils des formateurs. La route est longue, semée d’embûches, mais ça vaut la peine de croire en ses chances… Nous sommes bien placées pour en témoigner.