LFH – L’entretien avec Nodjialem Myaro
Entretien long format avec Nodjialem Myaro (présidente de la LFH), sur tous les sujets qui gravitent autour du développement du sport féminin.
Sportive professionnelle avant d’occuper le poste de présidente de la LFH, quel regard portez-vous sur l’évolution du sport féminin des années 90 à aujourd’hui ?
L’évolution du sport féminin est globalement positive. On constate que les femmes sont un peu plus présentes dans différents domaines tels que l’arbitrage, les entraineurs, les postes d’élus mais il y a encore une grande marge de progression ! Il faut continuer à encourager les clubs à créer des sessions filles, créer des programmes pour encourager les jeunes filles et les femmes à se reconvertir dans des activités selon leur domaine de compétences. Il y a aussi eu une évolution au niveau de l’’exposition médiatique ; je vois notamment la différence entre la période où nous avons décroché les premiers titres de l’équipe de France féminine de handball (NDLR : 2003) et le traitement actuel lors des résultats positifs des Bleues Toutefois, il faut mesurer cette évolution, nous partions de tellement loin, nous avions tellement peu de visibilité avant, que l’exposition que nous pouvons avoir aujourd’hui est légitime au regard du niveau de performances de nos athlètes. On ne peut qu’apprécier ces avancées, mais la marge de progression reste très importante et il ne faut surtout pas nous satisfaire de ce que nous pouvons avoir actuellement, car nous luttons quotidiennement pour susciter l’intérêt des médias, surtout au plan national.
La médiatisation du sport féminin est aujourd’hui au coeur du débat. Marlène Schiappa (Secrétaire d’Etat chargée de l’égalité hommes / femmes) s’est récemment exprimée sur le sujet en proposant que 50% des retransmissions sportives concernent le sport féminin. Quel est votre avis sur l’hypothèse d’une telle obligation ? Et quels sont les freins rencontrés par les ligues féminines pour convaincre des diffuseurs ?
J’ai pu lire des articles qui ont relayé les propos de Marlène Schiappa, ce serait bien évidemment un idéal pour le sport féminin. Cependant, de mon côté, je reste très prudente sur cette notion de parité stricte en ce qui concerne les diffusions TV de compétitions. Aujourd’hui, certains sports féminins ne sont pas assez structurés pour pouvoir prétendre à une exposition médiatique importante. Si c’est pour montrer du sport féminin alors que le « produit » proposé n’est pas de qualité, ça va desservir notre cause au contraire et ce sera contreproductif. Je suis pour que tous les sports soient accompagnés de la manière la plus équitable possible, d’un point de vu économique, financier, pour qu’ils puissent se professionnaliser dans de bonnes conditions, et prétendre ensuite à une exposition médiatique. Après, nous sommes toujours dans la problématique de nous dire que, c’est parce qu’on ne voit pas assez de sport féminin à la télévision, que les partenaires ne s’engagent pas… C’est un sujet complexe, mais c’est certain que le sport féminin mérite plus de visibilité sur nos écrans.
Au-delà de la diffusion des compétitions, je crois aussi que les médias doivent manifester leur engagement en offrant de l’espace d’exposition aux femmes actrices du sport (athlètes bien sûr, mais aussi dirigeantes, entraineurs, arbitres), car ce sont aussi ces parcours qui serviront d’exemple aux autres jeunes filles et jeunes femmes.
Cette saison, la Ligue Féminine de Handball a trouvé un partenaire « titre » (Butagaz) pour son championnat. 6 mois plus tard, quelle analyse d’impact en faites-vous ?
Il ne faut jamais baisser les bras ! Cela fait des années que la LFH structurait ses package marketing pour attirer des partenaires et notamment un partenaire titre. Nous avons essuyé des refus et c’est une grande satisfaction d’avoir été la première ligue féminine à arborer un naming pour son championnat avec l’arrivée de Butagaz. Cette première expérience se passe bien, c’est un vrai plus car notre partenaire s’investit à 200% et propose de belles activations en national et en local. C’est aussi très positif dans notre prospection pour attirer un diffuseur TV pour la saison prochaine, et ça montre que le sport féminin peut intéresser des partenaires nationaux. L’arrivée de Butagaz et les diffusions en clair sur Sport en France ont insufflé une dynamique positive, précieuse pour l’avenir, notamment pour inciter d’autres partenaires à nous rejoindre ou convaincre les actuels de renouveler leurs engagements. Ce naming est incontestablement une belle évolution, nous avons encore beaucoup de projets à développer, aussi bien avec Butagaz que nos autres partenaires (FDJ, Select, La Poste).
La France a récemment accueilli deux compétitions féminines, le championnat d’Europe de handball 2018. Comment vivez-vous les retombées (au plan local et national) ?
L’EURO organisé en France a été une belle réussite. Evidemment sur l’aspect sportif avec le titre décroché par les Bleues, et puis en terme d’organisation avec notamment un remplissage des salles quasi complet dans toutes les villes. Ça a été un gros challenge pour la Fédération française de handball, et je pense que l’image dégagée par cet événement a été bénéfique pour le handball féminin français. Notre ligue féminine s’est attachée, pendant l’événement, à valoriser nos clubs en mettant en avant la présence de nombreuses internationales qui évoluent dans notre championnat. Ceci dit, malgré toutes ces choses positives, ce n’est pas pour autant que des portes se sont ouvertes après cet EURO. Nous devons toujours redoubler d’efforts pour avancer.
Entre 2012 et 2018, le sport féminin a augmenté de 486 100 son nombre de licenciées. Que représente ce chiffre pour vous ?
L’EURO de handball et la Coupe du Monde de football ont offert une belle visibilité au sport féminin sur le territoire, avec l’objectif de rayonner sur toutes les pratiques féminines. Ça a forcément incité des jeunes femmes à se diriger vers des pratiques sportives (notamment au vue des médias autres que sportifs qui ont aussi parlé de ces événements), et c’est une très bonne chose. Maintenant, quand je vois que certains veulent réduire les pratiques sportives dans les cursus scolaires, je ne comprends pas et je suis très inquiète par rapport à cela. Le nombre de licenciées augmente, et quelle que soit la pratique sportive, c’est positif et il faut continuer nos efforts pour en inciter encore plus. Il faut aller chercher les jeunes le plus tôt possible, et ne pas hésiter à élargir nos panels de pratiques (baby hand, hand fit, hand ensemble…) pour toucher tous les publics. Nos joueuses doivent aussi s’impliquer en tant que « role model » car, outre les sports découverts à l’école ou en centre de loisirs, ce sont les exemples de sportives qui déclenchent la curiosité d’un enfant.
En 2020 14 présidentes sont à la tête d’une fédération sportive (olympique, non olympique, multisports), il existe encore une grande marge de progression en terme de représentation.
Oui c’est sûr…14 sur 115 ce n’est pas beaucoup, ça fait 12% et, si on affine, cela ne représente qu’une seule femme pour les 36 fédérations olympiques… Il serait intéressant de savoir comment a évolué ce chiffre au cours des dix dernières années, pour analyser cette évolution, tout en gardant à l’esprit que la présence croissante de femmes dans les instances dirigeantes a été insufflée par l’obligation de parité posée par la loi. Des messages forts restent nécessaires à faire passer, et je pense qu’aujourd’hui il serait important que des femmes prennent la direction dans des sports majeurs, porteurs. Il faut des femmes partout, à tous les niveaux, dans des sports émergeants, comme dans des sports qui sont des vitrines en France.
En quoi l’opération « Sport Féminin Toujours » née en 2014 sous l’initiative du CSA, et qui s’inscrit aujourd’hui dans la Conférence permanente du sport féminin, est-elle importante dans le développement du sport féminin ?
C’est une opération importante car elle mobilise les plus hautes instances françaises (ministère, CNOSF, CSA), dans un contexte qui nous rappelle que nous devons travailler quotidiennement pour promouvoir le sport féminin. Ce temps fort permet de mettre en lumière tous les efforts qui sont fait tout au long de l’année et de mettre en avant différentes sportives, dirigeantes et évènements sportifs dans tous les médias nationaux et régionaux. Il s’agit aussi de continuer à interpeler les milieux économiques et médiatiques.
Pour terminer, si vous aviez un rêve à réaliser pour le sport féminin ?
Que toutes les jeunes filles, qui aspirent à devenir joueuses, entraîneurs, dirigeantes, arbitres, puissent avoir la liberté d’atteindre leurs objectifs sans faire face à des obstacles, des barrages… Que tous les freins, réels ou supposés, soient supprimés, et que ce soient leurs compétences qui soient prises en compte !
