Squad LFH – L’entretien du président avec Thierry Weizman (Metz)
(photo : Bertrand Delhomme)
Dans le cadre du dispositif Squad LFH, qui a pour but de mettre en lumière tour à tour les 12 clubs de la Ligue Féminine de Handball. Entretien long format avec le président historique du Metz Handball, Thierry Weizman.
22 titres de champion de France, 8 titres en Coupe de France, 8 en Coupe de la Ligue… Metz domine le handball féminin français depuis le début des années 90, et s’impose comme l’un des clubs les plus titrés dans le paysage des sports collectifs français. Quel est le secret de cette longévité au plus haut niveau ?
T.W : Il y a plusieurs choses qui interviennent. Tout d’abord, nous n’avons pas une politique « one shot », ce qui est important, c’est la pérennité du club sur la durée, et pour cela, le club passe avant toute chose, et nous donnons une priorité absolue à l’institution. Le Metz Handball dépasse tout le reste, les entraîneurs, les dirigeants, les joueuses passent au fil des années, ce qui est important, c’est que le club reste toujours bien présent. La star c’est le club, ce n’est pas une joueuse, un entraîneur, un président. L’institution prime, c’est peut être un peu prétentieux de dire cela, mais nous essayons de nous inspirer d’une institution comme le Barça, qui persiste contre vents et marées, quoi qu’il arrive. Il y a des générations de joueuses qui passent, et le club est toujours au sommet. La seule chose mise en avant est notre club.
Deuxièmement, la politique sportive est axée sur la formation. Je pense qu’en jouant avec des joueuses qui sont formées au club, qui arrivent en équipe première en ayant joué pendant 4, 5, 6 ans avec le centre de formation, il y un amour du maillot et du club qui est important. Les filles sont conscientes de ce que le club a fait pour elles, dans leur accompagnement sur le plan sportif et extra-sportif. L’enjeu est d’arriver à emmener au plus haut niveau, des joueuses qui ont été « élevées », j’ai presque envie de dire « à qui Metz a donné le sein pendant leur formation ».
Et troisièmement, nous ne devons surtout pas penser à travers les autres. Ne pas regarder ce qui se passe à droite à gauche, tel a plus d’argent, tel a un modèle en société… et ce, même dans la façon de jouer. Nous devons suivre notre route en restant fidèle à notre modèle. Combien de fois j’ai entendu que le modèle associatif est dépassé et qu’il faut absolument être en société… Nous n’avons pas changé pour le moment, nous sommes toujours en association, nous avançons pas à pas, sans être influencés par ce que peuvent faire les autres. Le jour où nous commencerons à réfléchir en fonction des autres clubs, je pense que ce ne sera pas une bonne façon de faire. Pour l’instant, personne n’a prouvé qu’un autre modèle était meilleur, donc nous continuons sur notre trajectoire.
Si sur la scène nationale Metz domine depuis de nombreuses années, il a fallu du temps avant de parvenir à se faire un nom sur la scène européenne. C’est aujourd’hui le cas avec deux quart de finale disputés lors des deux dernières éditions de la prestigieuse Ligue des Champion et, on croise les doigts !, un final 4 peut-être cette saison pour la première fois dans l’histoire du handball français. Que représente cette compétition pour Metz ?
Cela fait 30 ans que je suis au club, dont 15 ans comme président. Je peux vous assurer que jusqu’à il y a un an ou deux, atteindre le Final 4 de la Ligue des Champions était totalement inimaginable. Vraiment c’était à des années lumières de ce que nous pouvions envisager pour plusieurs raisons. En face de nous, nous avons des équipes qui ont 7, 10, 12M d’euros de budget, avec des joueuses qui nous faisaient rêver mais dont nous n’avions pas les moyens de recruter avec des salaires absolument démesurés. Et puis il y a quelques années quand nous affrontions des équipes comme Hypo NÖ, Györ etc. nous perdions nettement nos matchs. Aujourd’hui c’est vrai que l’impensable, devient pensable, nous pouvons commencer à y rêver, en tout cas c’est à cela que je pense chaque matin. Je sais que tout le club, Emmanuel Mayonnade, les joueuses, sont tendus vers cet objectif depuis le début de la saison. Cette année, toute la stratégie menée sur le plan sportif a été construite pour nous amener au Final 4. Chaque match joué, même ceux qui peuvent parfois paraître sans enjeu, ont leur importance pour la suite. Pour aller à Budapest, il faut avoir un 1/4 de finale accessible, pour avoir un 1/4 de finale accessible, il faut terminer à la meilleure place possible au tour principal, et pour cela il faut jouer le mieux possible et s’entrainer à fond constamment.
Ce serait notre Graal, l’inaccessible qui devient réalité, mais nous sommes bien conscients que la route est encore longue pour y parvenir. A l’heure d’aujourd’hui nous n’avons rien gagné, c’est bien d’être invaincu en championnat, mais ce n’est pas un titre ! Nous ne sommes pas encore champion de France, la route en coupe de France est encore longue, et puis surtout, si nous passons au travers de notre quart de finale en Ligue des Champions, nous avons déjà connu cela, tout ce que nous aurons fait jusque là, tombera à l’eau. Nous en rêvons, mais il ne faut surtout pas déjà s’y croire, car la déception peut être immense. Plus on pense que c’est possible, plus la déception peut être terrible si le résultat ne vient pas. Si lors de nos deux derniers quart de finale nos adversaires étaient plus forts sur le papier, aujourd’hui je pense que nous avons le niveau, et nous allons tout faire pour ne pas être déçus.
Vous avez remporté les trois dernières couronnes de champion de France (2016, 2017, 2018), avec un dernier titre glané au terme d’une finale palpitante face au Brest Bretagne Handball. Pouvez-vous nous nous parlez de cette rivalité sportive qui est en train de s’installer avec le BBH ?
Je pense que tous les clubs de la LFH sont difficiles à jouer pour Metz. On peut voir une équipe comme Toulon qui se fait battre nettement par une équipe de milieu de tableau, et qui derrière va sortir un match idéal contre nous et nous amener à gagner difficilement d’un but. Nous étions menés à la mi-temps contre Nantes lors de notre dernier match de championnat, donc pour nous c’est toujours difficile de jouer à l’extérieur. Les salles sont toujours pleines, les équipes se donnent à fond pour nous faire tomber, donc quelque soit notre adversaire en LFH, ils font le maximum pour gagner contre le champion de France, et c’est légitime. On ne peut pas dire qu’il y a une rivalité avec Brest, nous avons deux modèles économiques très différents, nos politiques sportives le sont aussi. Ce qui m’intéresse surtout, dans ces grands clubs, c’est qu’ils jouent avec un certain nombre de stars, comme Ana Gros, Allison Pineau, Cléopatre Darleux, Isabelle Gulldén, qui permettent de remplir les salles en LFH. C’est ça que je trouve très intéressant dans l’avènement du Brest Bretagne, pouvoir offrir aux spectateurs une équipe absolument fabuleuse sur le papier. Pour la rivalité sportive, on a autant de mal à aller jouer dans une petite salle comme à Bourg de Péage, parce que chaque équipe veut réaliser son meilleur match face au Metz Handball. Dans l’histoire, nous avons toujours eu des challengers dans la course au titre, avec Besançon, le Havre, Issy Paris, le Fleury Loiret, le Toulon St-Cyr, qui nous ont piqué un titre à un moment, et c’est parfaitement normal ! Les équipes passent, Metz est toujours là, et si bien sûr nous perdons de temps en temps, ce qui m’intéresse c’est de rester au plus haut niveau sur la durée et d’être la référence en handball féminin. Je suis très heureux de l’arrivée de président comme Gérard le Saint et Arnaud Ponroy en LFH, qui viennent apporter leurs moyens financiers, et j’espère qu’ils seront là le plus longtemps possible.
Huit joueuses de votre effectif ont été sacrées championnes d’Europe en décembre dernier avec les Bleues. Parlez-nous de ce lien fort qu’il y a aujourd’hui entre l’équipe de France et le Metz Handball.
Notre progression est parallèle à celle de l’équipe nationale. Ce que nous travaillons en club bénéficie à l’équipe de France, notamment dans les relations entre les joueuses et l’expérience acquise au niveau international par les joueuses, est bénéfique à Metz en retour. C’est gagnant / gagnant, et je pense que le mérite du Metz Handball est d’avoir recruté au sein de son centre de formation, des pépites ! Je pense à Laura Glauser, Laura Flippes, Grâce Zaadi, Orlane Kanor, Méline Nocandy… Nous avons un centre de formation performant, et un entraîneur qui fait confiance aux jeunes et qui parvient à les amener à maturité. C’est aussi l’un des secrets de la réussite du Metz Handball.
Vous venez d’annoncer la reconduction de contrats d’Emmanuel Mayonnade et de plusieurs joueuses cadres internationales, dont les françaises championnes d’Europe et du Monde. Quelle analyse faites-vous de la force de Metz handball face aux autres clubs majeurs européens ?
Arriver à garder Emmanuel Mayonnade, qui est certainement actuellement l’un des entraîneurs le plus sollicité en Europe, c’est un signe d’attachement profond pour la structure. Et bien sûr, garder l’effectif inchangé, à l’exception de Béatrice Edwige qui va rejoindre le meilleur club d’Europe. Je considère que Metz est presque la dernière marche avant d’aller jouer à Györ. Et tant mieux si nous arrivons à amener des joueuses à maturité pour qu’elles puissent aller gagner un titre de champion d’Europe. Pour nous, ce qui est important c’est que l’effectif est quasiment inchangé, et cela entraîne une cohésion extrêmement importante au sein du groupe. Non seulement l’effectif ne va quasiment pas bouger, mais en plus le staff va rester en place. Il y a une stabilité, une continuité qui vont nous permettre d’aborder la suite sereinement. Cela se ressent sur le terrain, les joueuses jouent en confiance, et sont capables de bien gérer des moments difficiles. Nous vivons une époque formidable.
Cette saison, la Ligue Féminine de Handball fête ses dix ans. Quel regard portez-vous sur l’évolution du championnat français ?
Pour le positif, tous les clubs se sont structurés ces dernières années et ont appris à se connaitre et à se parler. Les présidents des clubs de la LFH se connaissent, se réunissent, parlent et cela fait avancer les choses. Il y a eu une structuration globale, et une entente entre présidents qui n’existaient pas forcément avant. Nous avons une CNCG qui semble être efficace, avec un modèle de contrôle et de gestion efficace. Et puis surtout, cette politique de « JIPES« , et dieu sait si à un moment donné j’étais contre, qui est une vraie réussite. Les résultats de l’équipe de France le démontre, et c’est une expérience gagnante. Nous avons une émergence d’une multitude de jeunes joueuses talentueuses, que nous n’aurions peut être pas eu sans cette politique.
Pour le négatif, c’est d’abord que l’économie des clubs féminins est très très fragile. Nous sommes à flux tendu constamment, avec une visibilité TV qui dépend un peu aujourd’hui de l’intérêt pour l’équipe de France. Ensuite, sur le plan sportif, notre championnat est encore loin du niveau de la Ligue des Champions. Même si tout le monde dit que c’est un championnat de très haut niveau, je pense que le championnat hongrois est aujourd’hui plus fort avec des équipes comme Györ, Budapest, Erd, Siofok… Et puis enfin, ce que je regrette, c’est le mauvais maillage territorial. Aujourd’hui sur les 4 plus grandes villes de France : Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux, une seule compte un club de la LFH avec le Paris 92. C’est dommageable que ces grandes villes ne comptent pas de handball féminin de haut niveau, et cela représente des difficultés pour démarcher des partenaires nationaux. De petites villes ont su tirer leur épingle du jeu, mais ce n’est pas le cas dans les grandes villes, et ce n’est pas la meilleure publicité possible pour le handball féminin.