Dans la famille Bounouara… avec Saïd et Mourad !

Figures familières du paysage handballistique hexagonal, Saïd et Mourad Bounouara sont des arbitres reconnus et appréciés. Et pourtant, fait rare pour des « paires » familiales, les deux frères de la Charité-sur-Loire, qui ont 3 ans d’écart, n’officient pas ensemble. Ce qui n’en rend pas moins intéressant leur parcours. Et vaut bien une interview croisée pour notre rubrique Dans la famille de.

Saïd, Mourad, qui êtes vous ?

Saïd : Je suis donc Saïd, j’ai 46 ans. Je suis policier et arbitre de haut-niveau. J’ai commencé très jeune le handball à la Charité-sur-Loire, vers 6 ans environ. Le gymnase était à côté de la maison donc il n’y avait qu’à traverser la rue pour y aller. Dans ce village de 5/6000 habitants, il devait y avoir un club de foot, un de basket et un de hand. Le stade de foot était loin, pour le basket j’étais un peu petit (rires), donc j’ai choisi le handball. Je suis tombé dans la marmite assez tôt et j’ai aimé ça. J’ai évolué comme joueur jusqu’en pré-national et puis parallèlement j’ai commencé à arbitrer assez tôt, dès l’UNSS. De fil en aiguille, on s’est pris au jeu avec mon partenaire, Khalid Sami. On a fait toutes les filières jusqu’à arriver au plus haut niveau. Et j’officie désormais avec Stevann Pichon.

Mourad : Et moi je suis Mourad ! J’ai 43 ans. Je suis conseiller technique national à la FF Handball, depuis août 2023, en charge du para-handball et j’interviens aussi au niveau du PPF arbitrage. Avant cela, j’étais chef de service dans un établissement médico-social (IME) avec des enfants en situation de handicap. Et je suis aussi arbitre donc ! En parallèle de la pratique du handball, j’ai aussi toujours arbitré, avec une pause de deux ans pour mes études. J’ai eu plusieurs partenaires aussi dont Hakim Lazaar et Richard Thobie depuis 2008.

Comment est née votre passion pour l’arbitrage ?

Mourad : Tout est venu du président du club de la Charité-sur-Loire, Robert Labonne. Il était aussi professeur et c’est lui qui nous a mis un sifflet dans la bouche.

Saïd : Il était passionné d’arbitrage et il nous a embarqués dans l’aventure.

Mourad : On jouait et on arbitrait en même temps. Moi j’évoluais avec les partenaires de mon équipe et Saïd avec les plus grands. On avait 3 ans d’écart donc cela s’est fait comme ça.

Saïd : Et puis à un moment, il y a une bascule qui se fait car tu ne peux pas arbitrer le samedi et jouer en même temps. Notre club et nos capacités de joueurs étaient limités donc on savait que l’on n’embrasserait pas une carrière de haut-niveau. Mais toucher le haut-niveau par l’arbitrage grâce aux filières espoirs était possible. On s’est dit il y avait quelque chose à faire, que l’on pouvait se faire plaisir grâce à ça.

Mourad : Ce qui était intéressant, c’est que devant nous, les plus jeunes, il y avait toujours les grands frères. Nordine Lazaar, notamment, qui a été un des modèles de l’époque, et mon frère qui avaient 3/4 ans d’avance. On se suivait. Et ce qui est drôle, c’est que l’on était vraiment beaucoup d’arbitres issus du club et quand on revenait au club le lundi, on parlait plus de nos arbitrages que des matchs que l’on avait disputé. On se disait : « T’as arbitré qui ? Et à quel niveau ? » Etc. Il y avait une émulation au sein du club. On se challengeait et on avait envie de gravir les échelons pour atteindre le même niveau que les plus grands. C’était une vraie source de motivation.

Et pourtant vous n’avez jamais arbitré officiellement ensemble…

Saïd : Ça aurait pu être sympa, mais ça ne s’est pas fait. Ce sont les circonstances de la vie. Je crois que quand j’ai commencé à arbitrer, il jouait peut-être même encore au foot. Notre papa était fan de foot et Mourad est arrivé un peu plus tard au hand.

Mourad : Les choses se sont faites au fur et à mesure et on n’a pas eu l’occasion d’arbitrer ensemble. Mais comme il avait son statut de « grand frère », je ne sais pas si cela aurait été facile, pour moi, de le faire avec lui. On partageait déjà beaucoup de moments en famille et pour grandir et se construire, j’ai trouvé que c’était bien d’avoir chacun ses expériences.

Contrairement au fait d’être dans un collectif comme certains joueurs et joueuses peuvent le vivre, arbitrer, tu es juste à deux, il y a des décisions qui peuvent être lourdes à prendre et face à cette situation dans le monde pro, est-ce que j’aurais été libéré ou est-ce que j’aurais eu la légitimé de m’engueuler avec mon frère, après matchs, si on n’avait pas été d’accord sur des décisions, c’est une vraie question que je me suis posé. Parce qu’entre binôme, on se prend souvent la tête. Il y a des remises en question, mais ce sont des conflits constructifs qui font progresser. La question a toujours été de savoir si je me le serais autorisé, plus jeune, en formation, avec mon frère. Je ne sais vraiment pas. Mais je pense que lui en tant que grand frère, ça ne lui aurait pas posé de problème (sourires).

On imagine néanmoins que cela ne vous empêche pas de beaucoup parler d’arbitrage ?

Saïd : Son regard extérieur est important, ça reste la famille. Sans qu’il y ait de relation dominant/dominé ou de grand frère/petit frère, c’est bien d’avoir ses remarques. Il est légitime à son niveau. Quand il m’envoie des commentaires ou des messages, c’est toujours avec plaisir que je les reçois. Il y a beaucoup de confiance et d’encouragement. On est bienveillant même si on n’arbitre pas ensemble et pas de la même manière.

Mourad : Même s’il y a beaucoup de pudeur dans notre relation, et cela est peut-être dû à notre éducation, on communique beaucoup. On regarde les matchs de l’autre, on échange, on s’appelle. Quand il arbitre, je lui envoie des textos, des messages d’encouragement, je lui dis qu’il est dans le rythme de la partie.

Quelles sont ses qualités comme arbitre et les vôtres ?

Mourad : Il est dans le body language, dans la communication. Il veut trouver les bonnes solutions pour les joueurs. Bon après il faut dire qu’il est policier, il a donc cette fermeté tout en étant dans la com. Moi qui suis plus dans le relationnel. Je négocie tout le temps. Moins dans un truc cadré et ferme.

Saïd : De l’extérieur, je pense que je fais plus « renfermé » tandis que lui est plus rond, dans la com. Il est pédagogue et c’est lié probablement aussi à son métier d’origine. Avant je pense que j’étais plus dans l’affirmation par l’autorité, mais qu’aujourd’hui je suis plus fluide. La com est hyper importante. Ces dernières années, je me fais plus plaisir grâce à cet aspect com. Avec les années, c’est de plus en plus enrichissant d’arbitrer. Il y a l’expérience qui joue beaucoup aussi. Avec Stevann, on reste sérieux, on met de la com, du dialogue et du sourire pour mettre en confiance les joueurs et joueuses et que tout se passe bien.

Dans quelle mesure l’arbitrage a influencé vos vies ?

Saïd : Mes vies professionnelle et d’arbitre se sont nourries. Et pas avec une recherche d’autorité comme on pourrait le penser au regard de mon métier. Mais l’arbitrage est une activité qui permet d’obtenir de la la confiance en soi, du self control. C’est hyper important. Et tu fais ça par passion pour le handball, vraiment.

Mourad : Quand je suis passé responsable d’un gros service avec 50 personnes dans le médico-social, je sais que c’est notamment parce que l’arbitrage m’a beaucoup apporté en terme de confiance, d’estime de soi et de tout ce que l’on peut véhiculer grâce à ça. Et souvent je me dis que si les entraîneurs sont légitimes pour faire des conférences auprès des entreprises ou autre, les arbitres ont tout autant cette possibilité d’analyser la gestion de groupe ou les moments de crise. On y est exposé tout le temps. Et puis la différence, c’est qu’il y a deux coachs qui managent deux équipes. Et nous, on manage deux équipes qui se confrontent. L’arbitrage c’est l’art et la manière de gérer les égos de chacun et chacune.

Vous n’avez donc pas arbitré ensemble. Néanmoins, on imagine que votre partenaire est comme un « demi-frère » pour garder le fil de notre rubrique, est-ce le cas ? Comment on construit un duo de ce type ?

Mourad : Cela fait 16 ans que j’arbitre avec Richard. Cela va au-delà de la belle relation de travail ou de loisir. On est potes, on s’appelle beaucoup. Tu passes tellement de temps ensemble que c’est difficile que cela soit autrement. Après les matchs, on se fait un petit resto, on discute. Quand il appelle à la maison et qu’on s’occupe des enfants par exemple, ma femme sait que je dois prendre parce que c’est sérieux. Alors que quand ce sont d’autres amis qui appellent, je ne décroche pas forcément.

Saïd : Avec Stevann, on a une vraie relation de confiance. On a chacun eu un parcours par le passé avec nos partenaires précédents et là, on est comme du bon vin, on arrive à maturité (rires). On s’est découvert depuis quelques années et cela se passe vraiment super bien. On a aussi de l’amitié l’un pour l’autre, on parle des enfants qui ont le même âge, de la vie.