“Gardienne de but, un poste à part…“
Julie Foggea, ici en discussion avec sa coéquipière à l’UMB-B, Alice Durand.
Julie, avez-vous toujours été gardienne ?
Non, j’ai commencé le hand comme joueuse de champ à 14 ans à l’USR Handball, mon club en Guadeloupe (Sainte-Rose). J’ai joué arrière gauche pendant 2 saisons. Ensuite, notre gardienne a voulu arrêter car elle n’aimait plus trop ce poste et elle était souvent blessée. Nous n’avions plus de gardienne donc en attendant, je me suis proposée. De provisoire, c’est devenu définitif (sourires).
Avez-vous tout de suite aimé ce poste ?
Au début, cela m’a fait bizarre, c’était une sacrée différence. J’aimais courir, marquer des buts et là je devais rester dans mes buts, les arrêter. La saison recommençait, j’avais une certaine pression, est-ce que j’allais apporter quelque chose à l’équipe ? Mais j’ai eu cette chance d’être bien encadrée pas mes entraîneurs. J’ai beaucoup travaillé avec eux, ils m’encourageaient sans cesse. J’adore me dépasser physiquement, dans la vie en général, donc j’ai aimé ça.
Je me souviens du 1er match, c’était stressant. Je connaissais mes coéquipières mais très peu mes adversaires, leur façon de tirer. Au final, cela s’est bien passé, du coup je suis restée. Et surtout il n’y avait pas d’autre gardienne, donc c’était moi ou personne. Cette saison, nous avions terminé championnes de Guadeloupe, cela m’a aussi encouragée à continuer. Par la suite, les entraîneurs m’ont toujours laissé ma chance, j’ai été bien entourée pour apprendre. Je remercie tous les coaches que j’ai croisés pour ça.
N’êtes-vous pas frustrée, parfois, de ne pouvoir traverser le terrain ?
Si, un peu. J’aime me dépenser, j’aime courir et je dois rester dans ma “zone“, il faut s’y habituer. Mais on se dépasse autrement. C’est un poste à part. On est le dernier rempart. Mentalement il faut être capable d’encaisser les choses, les ballons aussi… Et d’apporter le maximum à l’équipe.
“Record“ de buts sur la phase aller, et record d’arrêts sur une même photo.
Faut-il être un peu “fou“ pour se faire “tirer dessus » à longueur de match ?
Je confirme. Je crois que je suis née avec ce « grain de folie » en moi (sourires). Car oui, il faut être un peu fou avec tous ces tirs sur nous et le pire, c’est qu’on aime bien. Mentalement aussi, il faut pouvoir assumer ses responsabilités. Quand on touche un ballon et qu’il rentre malgré tout, c’est de notre faute. Et si cela se répète, il faut savoir rebondir, ne pas plonger… Et aussi, se prendre des ballons dans la tête, ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable.
Avez-vous déjà été « KO » ?
Non, mais un ballon en pleine tête, c’est ce qui fait le plus mal. La sensation est assez inexplicable, c’est comme une grosse gifle qui nous écrase le visage. Il faut vite passer outre et se dire que ce n’est pas la fin du monde. La difficulté, c’est d’évacuer le plus vite possible et ne pas avoir ce qu’on appelle un réflexe fuyant. C’est un réflexe humain qui fait qu’inconsciemment, on fuit le ballon quand la situation se reproduit.
Il faut dompter sa peur, parvenir à la surmonter. Psychologiquement, il faut prendre le dessus sur l’appréhension. Après normalement, un ballon dans la tête, cela reste assez rare.
Avez-vous un rituel ?
Pendant l’échauffement, ou pendant le match lorsque j’arrive dans le but après un changement, je touche chaque poteau puis la barre transversale, comme pour me dire “j’arrive chez moi“. C’est une façon de prendre possession des lieux. C’est psychologique avant tout.
A la mi-temps, vous ne rentrez pas au vestiaire avec l’équipe. Pourquoi ?
On reste sur le terrain avec Petra (Blazek) car la gardienne qui n’a pas joué en dernier s’échauffe petit à petit, et celle qui jouait l’aide à s’échauffer. Et puis on échange tactiquement, sur les impacts, etc. C’est mieux que d’être dans les vestiaires où le coach dit des choses qui ne nous sont pas forcément adressées. Et quand les joueuses reviennent, on fait un point avec elles.
Avec Petra, au début on parlait anglais et très vite j’ai vu qu’elle comprenait le français. Elle n’osait pas trop parler en français, c’est normal mais on échange davantage en français désormais.
Vous semblez aussi beaucoup communiquer avec l’entraîneur des gardiens, Frédéric Balssa ?
Oui, c’est très important pour nous. On s’entend super bien avec Petra et Fred Balssa. Avant, pendant les matches, aux entrainements, on parle beaucoup et on est souvent tous les 3. Nous avons une bonne complicité mais pas uniquement sportive, c’est aussi de l’humain. J’avoue que cela m’aide beaucoup, dans la gestion du stress, beaucoup de paramètres aussi qui font partie du sport mais qui ne sont pas forcément palpables. C’est une vraie aide et je suis contente de cela.
De Hypo Nö (Autriche), Petra Blazek a fait le grand écart cet été jusqu’en Gironde et l’UMB-B.
Utilisez-vous beaucoup la vidéo ?
Parfois oui, parfois non. Je commence à bien connaître mes adversaires en LFH, leurs façons de tirer, leurs courses, leurs habitudes. Donc quand je joue face à des joueuses que je connais, je ne fais pas de vidéo, cela me stresse plus qu’autre chose. Je n’ai pas envie de “m’abrutir“ avec les images. Mais c’est quelque chose de personnel. Petra, par exemple, utilise beaucoup la vidéo.
En fait je l’utilise plus à petite dose, sauf avant d’affronter de nouvelles joueuses, des recrues des autres clubs. C’est un outil qui aide mais qui n’est pas censé faire le match. Il faut aussi vivre le match, il y a une part d’intuition, de ressenti sur le moment.
Comment appréhendez-vous les jets de 7 mètres ?
C’est difficile à expliquer car cela dépend de plusieurs choses en même temps. Est-ce que, avant le penalty, j’ai déjà pris le dessus sur la joueuse qui va tirer ? Si j’ai déjà fait 3-4 arrêts, j’ai une approche spécifique. J’essaie aussi de lire expression de la joueuse en face, ses mimiques. Est-elle en manque de confiance ou au contraire très déterminée, j’observe un peu ses mimiques. Après, tout va très vite, il y a le contexte du match, les vidéos qu’on a pu voir, le ressenti psychologique sur le moment, une part d’intuition, et puis aussi une part de hasard.
Quelle est votre bête noire ?
J’en ai beaucoup (sourires). Mais ma bête noire technique et tactique, je la vois tous les jours, c’est Alexandra Lacrabère. Physiquement, elle est impressionnante et elle a un bras de fou. Souvent à l’entraînement je me dis : “Mais comment fait-elle, par où est passé le ballon“. Cela m’aide à progresser et proposer de nouvelles tendances. Humainement je l’adore même si elle mène la vie dure aux gardiennes (sourires). Et je préfère l’avoir dans mon équipe.
Avez-vous un modèle, une référence à votre poste ?
J’admire Amandine Leynaud pour son calme et sa technique. Marion Callavé m’a beaucoup impressionnée à Fleury Loiret par ses appuis parfaitement fixés au sol. Elle n’avait pas besoin de bouger beaucoup mais elle était sur tous les ballons. Cela m’avait marquée, je me disais : “Je veux les mêmes appuis que Marion“. Chez les garçons, j’apprécie Daouda Karaboué, et bien sûr Thierry Omeyer.
Le duo de gardiennes du Vardar Skopje, Amandine Leynaud et Inna Suslina.
Après un match, avez-vous une idée précise de votre nombre d’arrêts ?
Pas forcément. Je ne les compte pas. Et surtout, je suis une éternelle insatisfaite donc même si j’ai fait de bonnes parades, des arrêts, au coup de sifflet final, je ne me trouve jamais bonne. Ce n’est qu’une fois que je regarde les stats que j’ai une idée plus juste et objective des choses.
Quel est le “secret“ pour tenter d’être infranchissable ?
Etre très confiant, ne pas réfléchir, “poser son cerveau“ comme le dit si bien Fred Balssa. Parfois, le 1er arrêt ballon peut donner le la. Cela fait toujours mal de prendre le 1er but et à l’inverse si on fait un bon arrêt dès la 1ère action, ça booste.
Mais il y a des rencontres où il arrive que l’on sorte du match, des moments où on n’est pas dedans. On prend plusieurs buts à la suite, on ne sort pas la tête de l’eau. L’entraîneur des gardiens, Fred Balssa peut faire un changement ou nous recadrer en disant “maintenant, tu poses ton cerveau“. On se remet la tête dedans mais si on voit qu’on y est plus, il faut avoir l’humilité de demander le changement nous-mêmes pour inverser la vapeur.
Face au Havre (J2) vous aviez franchi la barre des 20 arrêts. Est-ce une satisfaction quand on est gardienne ?
La satisfaction, c’est d’abord quand l’équipe gagne et là, nous avions perdu (23-25) donc d’un côté on se dit “20 arrêts, c’est pas mal mais ce n’était pas assez pour nous permettre de gagner, on aurait dû en faire plus“, je retiens plus ce côté là.
Il faut aussi être sacrément souple, explosif ?
C’est un poste exige de la souplesse, de l’explosivité, de l’élasticité. Ce n’est pas inné, cela s’acquiert petit à petit. On travaille beaucoup, de sorte que les parades deviennent des réflexes. Les grands écarts, pareil, on ne s’en rend plus compte, on ne réfléchit pas avant. Il faut tout le temps le travailler pour que cela devienne “naturel“ car ce n’est pas quelque chose d’inné.
Ce vendredi soir, le championnat reprend face à Toulon St-Cyr (20h30) ?
Oui, on a vraiment à coeur de bien débuter l’année. On veut continuer à tout donner et on espère que cela nous sourira. On veut vraiment aller en Play-Offs, il ne faudra rien lâcher. J’en profite pour remercier les supporters qui sont vraiment supers avec nous depuis le début de saison. Et je souhaite bonne année à toutes les joueuses, aux supporters, à tout le monde.